Résonances – Avril 2000

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La philosophie pour  enfants

dans une école de ZEP

G. Geneviève

 

 

Depuis maintenant près de deux ans, nous pratiquons la philosophie pour enfants dans notre école, située dans une «Zone d'Education Prioritaire»: l'école Vieira da Silva, implantée dans le quartier de la Grâce de Dieu, à Caen. Cet article se propose d'expliciter les raisons de ce choix.

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Au lycée, on demande aux élèves d'écouter le cours, d'apprendre des notions, en particulier en lisant des auteurs reconnus, j'allais dire labellisés ; puis de restituer tout cela sous la forme (quasi sacrée) de la dissertation.

Distinguer culture et pratique philosophiques

Notre pratique de la philosophie pour enfants à l'école élémentaire a des objectifs radicalement différents, car nous pensons que les jeunes ainsi formés ne deviennent pas philosophes, ni même qu'ils ont une réelle pratique de la philosophie. Tout au plus, on peut dire qu'ils acquièrent une certaine culture philosophique. L’idée générale de notre démarche est plutôt d'amener nos élèves à réfléchir, à se questionner, à débattre. Les cours de philosophie des classes supérieures prendront alors tout leur sens, car ils seront alors perçus comme un prolongement des activités menées à l'école élémentaire (ou au collège),

et comme une ouverture vers d'autres formes de pensée, plus élaborées.

Nos objectifs sont multiples, mais relèvent de trois grands domaines de compétences : le travail sur soi (initiation à la pensée construite et développement de l'estime de soi), l'éducation citoyenne (vie démocratique, socialisation) et la maitrise du langage (amélioration des capacités en lecture, enrichissement du vocabulaire, développement des aptitudes au dialogue et, d'une façon générale, à la communication orale).

Un de nos buts est de montrer à nos élèves qu'ils sont capables de penser. Que c'est possible, qu'ils sont tous à même de mener une réflexion cohérente et d'en exprimer les résultats. Que ce qui distingue l'homme de l'animal, c'est la pensée autonome et la faculté qu'il a de pouvoir la partager avec autrui. Mais penser, c'est aussi «se penser», c'est-à-dire avoir conscience de sa propre pensée, se considérer comme un être pensant. Cette attitude renforce le sentiment d'être («Je pense, donc je suis») et la présence au monde indispensable à la formation d'êtres

conscients et responsables. Dans la foulée, on peut imaginer que se penser, s'observer dans l'action, permet de mieux se connaitre («Connais-toi toi-même») et de venir à bout de nombre de difficultés (métacognition). Ces capacités d'auto-analyse aideront également chacun à mieux se maitriser, à dominer davantage

ses émotions. Et, si on en croit les recherches récentes concernant l'intelligence émotionnelle, ceci représente un atout non négligeable au service de la réussite qu'elle soit scolaire, professionnelle ou personnelle.1

Former des citoyens actifs

Beaucoup d'enfants (d'adultes ?) souffrent d'un «déficit d'image», surtout dans nos quartiers. Ils se dévalorisent eux-mêmes, souvent de façon inconsciente. Nous souhaitons, quant à nous, renforcer chez chacun de nos élèves l'estime de soi, en leur demandant de penser, de façon autonome, et de faire partager les fruits de cette pensée.

Par ailleurs, nous espérons montrer à nos élèves, en situation réelle, comment fonctionne une démocratie et quels en sont les intérêts. Nous voulons leur donner les moyens de devenir des citoyens actifs, en développant leur goût pour les questions d'ordre général, plutôt que les laisser s'enfermer dans une certaine forme d'égoïsme ou de repli sur soi.

Nous pensons également que la pratique régulière du débat permet de créer un lieu de parole authentique. Nombre de situations de détresse sont expliquées par l'absence de dialogue, dans le milieu familial ou en dehors. C'est le cas, par exemple, de différents malaises adolescents, qui peuvent avoir des conséquences dramatiques. Toutes les occasions de parler sont donc bonnes, surtout si les sujets abordés sont d'ordre général, et pas anecdotiques.

Le développement de la socialisation de nos élèves nous apparaît également comme une priorité. S'il est vrai que les comportements sociaux s'enrichissent par le simple contact régulier avec les autres que permet l'école, cette socialisation «forcée» ne saurait suffire. Il est nécessaire d'institutionnaliser des phases d'échanges, de recherche, de communication, et c'est ce que la philosophie pour enfants permet.

On voit bien que les intérêts de cette démarche sont très nombreux, et qu’ils répondent aux difficultés spécifiques de ce type de quartier. On pourrait en évoquer d'autres qui, pour être plus «banals», n'en sont pas moins essentiels. Il s'agit principalement d'objectifs liés à la maîtrise de la langue orale et de la lecture puisque, comme on va le voir, le déroulement des séances combine ces deux activités.

Une expérience encourageante

Dans notre école, nous avons tenté, depuis longtemps, de mettre en place des activités permettant d'atteindre tel ou tel des objectifs assignés à la philosophie pour enfants. Sans m'y attarder davantage, je pourrais citer l'institution d'un Conseil d'enfants, qui réunit deux ou trois fois par an les élèves élus dans les classes en tant que délégués de leurs camarades; le tutorat d'élèves, généralement issus des petites classes, par des aînés, venant généralement des CM: aide à la copie des leçons, au rangement du cartable, encadrement de groupes pratiquant des jeux de société, (surtout des jeux coopératifs), lecture de contes, etc.; la possibilité qu'ont les élèves d'exercer des responsabilités diverses (membre du comité journal, responsable du tri des déchets, ... )

Au cours de l'année scolaire 1998-99, le travail de philosophie pour enfants a été mené dans les deux classes de CM2, au rythme d'une séance par semaine. Il a repris avec une organisation inchangée dès le mois d'octobre 1999. Chaque séance est co-animée par le maitre de la classe et moi-même, titulaire du «poste ZEP». Par ailleurs, depuis le mois de février 2000, une classe de CE1 pratique aussi la philosophie pour enfants. Deux adultes y assurent également l'animation. Dans l'ensemble des classes concernées, c'est un roman de M. Lipman, Elfie, qui a été choisi pour servir de support au travail.

Des réunions regroupant les maitres volontaires ont lieu régulièrement. Le travail mené dans ce cadre, qui prend pour support un texte différent, suit par ailleurs les principes décrits ci-dessus. L'expérience de philosophie avec les enfants est encourageante.

Bien des aspects de notre pratique de la philosophie pour enfants ne peuvent être développés ici. je renvoie les personnes intéressées au site internet que j'y ai consacré à l'adresse suivante : http://perso.worldonline.fr/philoenfants/Accueil.htm. Par ailleurs, si vous souhaitez contribuer au travail mené entre enseignants, il vous suffit d'envoyer votre adresse e-mail à ec.vieiradasilva.caen@wanadoo.fr.

 

L’auteur

 

Gilles Geneviève enseigne à l'école Vieira da Silva. Il a d'abord été instituteur remplaçant, avant d'obtenir le «poste ZEP» en 1986. Il a présenté un compte rendu de l'expérience à la 5ème   Biennale de l'Education qui s’est tenue à la Sorbonne du 12 au 15 avril 2000.