Gilles Geneviève : Discussions philosophiques pour enfants en ZEP
La philosophie 

est-elle utile ?

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Qu’est-ce que la philosophie ? C’est, bien sûr, la question de départ. En fait, elle constitue même la base de nombreux cours et ouvrages de philo, où elle est bien souvent accompagnée d’une question complémentaire : à quoi sert la philosophie ?
D’emblée, il nous faut ici remarquer que cette question en elle-même, tant par sa forme que par son contenu, est philosophique. En effet, le problème des définitions est récurrent en philosophie, même, et peut-être surtout, en philosophie pour enfants. Car toute communication, au sens large (orale, écrite, conférence ou dialogue) présuppose un consensus minimum, celui du sens des mots employés.
Pour pouvoir avancer, et sans prétendre épuiser le sujet en une ligne, on pourrait dire qu’est philosophique toute communication portant sur des généralités, par opposition au traitement des cas particuliers. Parmi mille autres exemples, disons qu’une réflexion sur la guerre serait philosophique, alors qu’une étude de la guerre du Viêt-Nam relèverait plutôt d’autres disciplines : géographie, histoire, politique ou géopolitique, économie...
Qu’est-ce que la philosophie ? C’est, bien sûr, la question de départ. En fait, elle constitue même la base de nombreux cours et ouvrages de philo, où elle est bien souvent accompagnée d’une question complémentaire : à quoi sert la philosophie ?
D’emblée, il nous faut ici remarquer que cette question en elle-même, tant par sa forme que par son contenu, est philosophique. En effet, le problème des définitions est récurrent en philosophie, même, et peut-être surtout, en philosophie pour enfants. Car toute communication, au sens large (orale, écrite, conférence ou dialogue) présuppose un consensus minimum, celui du sens des mots employés.
Pour pouvoir avancer, et sans prétendre épuiser le sujet en une ligne, on pourrait dire qu’est philosophique toute communication portant sur des généralités, par opposition au traitement des cas particuliers. Parmi mille autres exemples, disons qu’une réflexion sur la guerre serait philosophique, alors qu’une étude de la guerre du Viêt-Nam relèverait plutôt d’autres disciplines : géographie, histoire, politique ou géopolitique, économie...
La grande différence entre ces dernières et la philosophie, c’est qu’on n’en conteste pas l’utilité. Les médias en sont témoins : pas un journal, une revue, un magazine qui ne consacre une rubrique, voire son contenu entier, à l’un ou l’autre de ces thèmes (pensez à Historia, Géo, Politis, Le nouvel économiste, Psychologies, on pourrait en citer bien d’autres). Mais de philosophie, point. Du moins, était-ce le cas jusqu'au début de ce millénaire : depuis 2001, pas un été qui ne voie fleurir des articles consacrés à la philo en Une des plus grands hebdos (Nouvel Obs, Le Point, L'Express...) ; et, en cette année 2006, un magazine intitulé "Philosophie" est apparu dans les kiosques.
Cet intérêt si récent est-il passager ? Peut-être. Mais quelques constats s’imposent, comme le montre
Bertrand VERGELY.
Tout d’abord, la philosophie existe, sous une forme pratiquement inchangée, depuis 2500 ans. Si elle était inutile, n’aurait-elle pas dû disparaître ? Ensuite, on a cru bon de continuer à l’enseigner, même dans les filières scientifiques, où on pourrait penser qu’elle n’a pas grand-chose à faire. Enfin, on trouve des philosophes dans un grand nombre d’instances de réflexion et de décision et en particulier, pour ce qui nous concerne en tant qu’enseignants, dans le très sérieux Conseil national des programmes. Luc Ferry, après l'avoir longtemps présidé, est même devenu Ministre de la Jeunesse, de l'Education et de la Recherche en mai 2002, même si ce fut pour un passage, disons, éphémère.
On pourra objecter que la présence de la philosophie dans l’enseignement, dans les comités d’éthique ou de réflexion sont le fait d’adultes « cultivés ». Serait-elle donc une affaire de spécialistes, une gymnastique intellectuelle gratuite ? Jouerait-on à faire de la philosophie quand on a des diplômes comme on joue à « Questions pour un champion » quand on en a moins ? Sans vouloir à tout prix employer de grands mots, il nous semble que cela serait grave pour l’homme et la civilisation en général, pour la démocratie en particulier. Il nous paraît au contraire impératif de ne pas laisser à quelques spécialistes autoproclamés (ou cooptés) le soin de réfléchir au sens et au destin de la présence de l’homme dans l’univers. Cette réflexion, cette conscience, cette « présence au monde » sont, ou devraient être, l’affaire de tous. C’est d’ailleurs l’essence même de la démocratie. Et c’est une des raisons, peut-être la plus importante, qui nous ont conduits à utiliser en classe la discussion philosophique pour enfants. Et cette raison nous semble encore plus valable dans un quartier classé « ZEP » .
Pour revenir à la question de l’utilité de la philosophie, je voudrais prendre deux exemples, tirés de l’actualité ou des préoccupations actuelles, et qui pourront au passage préciser ce que nous entendons par philosophie ou discussion philosophique.
Le premier de ces exemples concerne les agressions dont sont victimes les personnels des transports en commun, dans certains quartiers des grandes villes. A juste titre, des responsables politiques locaux ou nationaux ou des représentants de ces personnels montrent de l’incompréhension face à ces agissements et les jugent incohérents : « Ces jeunes s’en prennent aux services que la collectivité met à leur disposition » ; « Ils se trompent d’ennemi », disent-ils. C’est vrai. Mais pour qu’une telle prise de conscience ait lieu, alors qu’elle semble défaillante chez les fauteurs de troubles, il faudrait que soit menée à bien une réflexion de nature philosophique, au sens où nous entendons ce terme. Elle supposerait en effet de recueillir un minimum d’informations, par exemple sur l’histoire, les techniques et les modes de financement des transports en commun, ou sur la situation des moyens de communication dans d’autres pays. Ces informations devraient ensuite être traitées, des comparaisons seraient à effectuer, des modèles théoriques devraient être bâtis (Qu’est-ce qui se passerait si... ?) pour aboutir à des conclusions du genre « Finalement, ce qu’on a ici n’est pas si mal » ou « On serait bien embêté si les bus, le métro ou le train ne desservaient plus notre quartier, notre ville » etc. Notons au passage, et puisque la question des définitions demeure centrale, que le type de réflexion décrit brièvement ci-dessus, assez proche finalement des méthodes utilisées par les scientifiques, est appelée pensée critique par les théoriciens de la philosophie pour enfants.
Je ne prétends pas, bien sûr, qu’on réglera avec la philosophie un problème de cette nature, dont les racines sont profondes et complexes. Mais, me semble-t-il, une initiation à la réflexion philosophique est un bon moyen de développer chez des jeunes, ou des moins jeunes, les capacités permettant de penser, de façon autonome, ce genre de situation. En tout état de cause, ce moyen me semble au moins aussi efficace qu’un autre, plus classique - une bonne leçon de morale par exemple. Quoique l’un ne dispense pas nécessairement de l’autre, tant il est vrai que, et c’est une des acquisitions des recherches pédagogiques récentes, la diversification des méthodes permet à coup sûr de toucher un public plus large.
Prenons un autre exemple. On entend souvent dire que la médecine a la fâcheuse tendance de s’occuper un peu trop des organes, et pas suffisamment de l’organisme. Des patients se plaignent d’être « découpés en rondelles », traités pour leurs affections particulières et pas assez dans leur globalité. Cette insatisfaction est très probablement une des causes principales du succès croissant des médecines dites parallèles, au premier rang desquelles l’homéopathie, qui ont pour point commun de prendre le contre-pied de ce saucissonnage. Elles préconisent le dialogue, et mettent en avant la nécessité de soigner le malade plutôt que la maladie. Le besoin d’une évolution de la médecine officielle dans ce sens explique, également, les appels réguliers à un infléchissement des études médicales : nombreuses en effet sont les voix qui s’élèvent pour demander d’y inclure des dimensions psychologiques ou une meilleure prise en compte de la douleur.
Et là, nous rejoignons la philosophie, et par plusieurs voies. D’abord parce que l’idée que nous nous faisons de la personne humaine est par nature philosophique. La représentation mécaniste des organismes vivants, qui les assimile plus ou moins à des assemblages de pièces qu’on pourrait réparer, changer comme on le fait pour une voiture, par exemple, cette conception trouve son origine dans la théorie des « animaux-machines », développée par Descartes. De même, il ne fait guère de doute que le peu de cas que l’on fait de la douleur dans notre pays découle des préceptes philosophiques de la pensée chrétienne, selon lesquels il faut souffrir maintenant pour être heureux plus tard. C'est la dérive doloriste  dont parle
Jean DELUMEAU.
A travers ces deux exemples, il apparaît clairement que le recours à la réflexion philosophique est nécessaire, aujourd’hui peut-être plus encore qu’autrefois. On voit bien aussi que les grands systèmes philosophiques imprègnent notre vie dans ce qu’elle a de plus quotidien et que bien souvent, comme Monsieur Jourdain, on fait de la philosophie sans le savoir.
Et que dire de l’apparition des cafés de philosophie ? De la place non négligeable que tiennent des philosophes dans les médias ? Des quelques tentatives - ce n’est pas facile - de programmer, sur certaines chaines de télévision, des émissions régulières consacrées à la philosophie ? Des appels réguliers à la quête du sens, à tous les niveaux de responsabilité, et singulièrement dans l’éducation ? De la parution de nombreux ouvrages de philosophie, essais, contes ou romans ? A l’émergence même de ces activités baptisées de philosophie pour les jeunes ? De l'apparition des Universités Populaires, à l'exemple de celle de Caen ? Le phénomène semble être un peu trop durable, il semble prendre trop d’aspects différents pour n’être qu’un simple effet de mode.
On a également reproché à la philosophie d’être un luxe d’Occidental. Autrement dit, on ne pourrait penser que quand on a le ventre plein, quand les conditions matérielles nécessaires à la survie sont réunies. Est-ce donc une activité d’oisif ? Peut-être. Mais, dans ce cas, il est urgent, pour le progrès de l’humanité, d’assurer ce minimum vital à une majorité de personnes. Car ce sont bien des écrits de nature philosophique qui ont combattu et finalement fait chuter l’absolutisme, mis en place des gouvernements démocratiques, aboli l’esclavage puis la peine de mort, développé l’enseignement gratuit pour tous, fait reculer l’exploitation des hommes par d’autres hommes (conditions de travail, droits de l’homme, droits des enfants,...).
Pas question, bien sûr, de faire de l'angélisme ou d'idéaliser la situation ; beaucoup reste à faire. Mais c’est seulement parce que nous pensons que nous nous en rendons compte, que nous souhaitons que ça change et que nous pouvons imaginer des solutions pour avancer. Or, pour nous, la philosophie n’est rien d’autre que cette faculté de penser le monde.
On pourra également objecter que ce sont des penseurs, authentiques ou prétendus, qui ont engendré les systèmes politiques les plus violents, les plus répressifs ou les plus aliénants. Mais, dans la plupart des cas, il s’agissait de dévoiements totalitaires, gangrenés par le culte d’une personnalité ou d’une caste dominante. Or, au sens où nous l’entendons, la pratique de la réflexion philosophique, en développant la pensée autonome et l’esprit critique, prétend justement lutter contre l’émergence de ces potentats, quel que soit le titre qu’on leur donne.
Si, donc, la philosophie est utile, est-il souhaitable de la pratiquer avec des enfants ? Est-ce seulement possible ? Ne risque-t-on pas de la dénaturer, en étant contraint de la simplifier pour la rendre accessible ? Il est vrai que la philosophie a pour réputation d’être une discipline ardue. Pour preuve, elle n’est enseignée (jusqu’à présent) que dans les classes terminales et la lecture de nombreux ouvrages qui s’en réclament est difficile. Mais est-elle difficile d’accès par nature, ou l’a-t-on rendue telle, par un acte délibéré ? Le cas quelque peu comparable de l’orthographe française, fixée tardivement (au XIXème siècle), dans des formes complexifiées jusqu’à l’absurde, pourrait le laisser penser. Le mobile de cette forme de crime pourrait être le maintien au pouvoir d’une certaine classe sociale. La grande bourgeoisie capitaliste avait alors besoin d’une masse d’ouvriers qui travaillent sans rechigner. Pas de gens qui lisent, écrivent ou... pensent. Qu’y a-t-il de moins soumis qu’un ouvrier informé qui pense ?
Il paraît évident que des élèves d’âge primaire ne peuvent entrer dans les écrits philosophiques classiques, ni maitriser les notions philosophiques complexes. Mais la discussion philosophique pour enfants n’a pas pour objectif d’inculquer des savoirs, mais plutôt des savoir-faire. Avant tout, elle se propose de modifier les comportements et d’apprendre à penser, comme nous l'explicitons dans les autres pages du site. Ces compétences, largement diffusées, pourront permettre à un nombre croissant d’élèves d’aborder l’enseignement classique de la philosophie, en classe terminale, avec intérêt et profit.



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